By Dr Tsilla Boisselet. DOI: 10.5281/zenodo.3443868
La surpopulation a été soulevée par beaucoup comme un signal d’alarme, un des plus grands dangers pour la survie de l’humanité. Une natalité ennemie de la survie est, en passant, en soit déjà un amusant paradoxe, si les implications n’étaient pas aussi sérieuses et réelles. Cet argument est, en outre, resservi pour alimenter tous les discours séparatistes, xénophobes, anti-pauvres, ou pour promouvoir des solutions controversées comme les OGM “pour nourrir la planète”. Paradoxalement, le nombre de personnes sur Terre devient brusquement vital pour démontrer que les ressources sont finies, alors que ces mêmes tireurs d’alarmes ne bronchent pas à l’idée de soutenir une croissance sans fin comme garant de la prospérité…. En parallèle, dans les milieux écologistes certains font le choix de ne pas avoir d’enfants pour éviter d’augmenter l’empreinte écologique de l’humanité ou pour ne pas exposer leur descendance à un monde incertain et apocalyptique. Mais qu’en est-il vraiment de l’augmentation galopante de la population ? Sommes-nous en danger à cause de l’explosion démographique, que ce soit celle d’une minorité ou celle de la population globale ? Devons-nous limiter, par une auto-censure, ou des mesures drastiques générales, sur le modèle chinois par exemple, la natalité ? L’augmentation exponentielle de la population, où chaque milliard d’habitant en plus sur la Terre a mis de moins en moins de temps à arriver, peut faire dresser les cheveux sur la tête si on s’imagine une progression similaire pour ne serait-ce que 10 ou 20 ans supplémentaires …
Mais cela est sans tenir compte des détails démographiques observés sur les pyramides des âges de chaque pays ou région dans le temps. La transition démographique est un fait bien connu et étudié. Elle signifie qu’après une phase stable de forte mortalité et natalité s’entame une diminution de la mortalité, qui augmente rapidement la population (oui, c’est vrai !) pendant un temps ; s’ensuit ensuite un ralentissement de la natalité, qui stabilise peu à peu la population, voire la voit diminuer. Le vieillissement de la population en est un des effets les plus connus et s’observe maintenant dans tous les pays dits industrialisés, qui ont passé leur transition démographique. Elle accompagne normalement une augmentation du niveau de vie, en particulier accès aux soins et éducation, surtout des filles – la natalité n’étant plus un nécessaire moyen de subsistance, main d’œuvre et assurance vieillesse. Et c’est là que se trouve le point fort des dynamiques de population. Il serait donc beaucoup plus effectif, judicieux et pacifique de limiter “naturellement” les naissances en donnant accès aux soins, à la contraception et à l’éducation qu’avec des politiques anti-natalistes, surtout forcées. Une raison d’être des femmes hors des tâches ménagères (emploi ou autre activité valorisante) non seulement limite les naissances mais augmente le potentiel de la population pour travailler aux solutions pour un autre fonctionnement – meilleur, on l’espère! (Encore faut-il le définir). Mais il faut aussi accepter que la transition soit une transition et en laisser le choix et la marge d’action aux pays et populations concernés. En effet, si elle se fait trop rapidement, la marge d’action se restreint : Le temps (et les moyens !) pour la forte population arrivée à l’âge actif pour établir un système stable et prospère permettant de soutenir cette même génération vieillissante et nombreuse plus tard, est nécessaire. De même, si l’anti-natalité est avancée comme mesure de réduction de l’empreinte écologique, il serait bon de la chiffrer pour pouvoir la comparer à d’autres propositions. Quelles sont les mesures les plus urgentes et efficaces, à court et long terme, pour la réduction de notre empreinte écologique à l’échelle globale? Une réduction des émissions et un changement de paradigme au niveau de la production et de la consommation de biens, d’énergie et de nourriture auront des conséquences beaucoup plus efficaces à court et long terme qu’une diminution drastique de la population, surtout involontaire. Une population réduite qui se croit donc, par son nombre, plus à l’aise de continuer è consommer sans limites est aussi dévastatrice que myope. Un monde en guerre augmenterait-il donc, paradoxalement la population par l’instabilité et la pauvreté qu’il génère, sans parler des désastres sociaux et environnementaux qu’il provoque. Un monde en paix au contraire donne le cadre pour l’accès généralisé aux soins et à l’éducation, une planification à plus long terme qui ouvre la fenêtre non seulement à une vie meilleure mais aussi à l’établissement de solutions nouvelles, résultat d’une entre-aide locale et globale. Une utopie? J’ose avancer que même un cynique regardant les faits y arriverait. En effet, réduire la population ou tout autre facteur sans reconsidérer le fonctionnement global qui conduit au gaspillage, à la sur-exploitation, à la pollution, à la sur-consommation repousse tout simplement le problème. De même, alimenter un système qui ne conduit pas activement à une meilleure répartition des richesses, plus équitable et autonome, réduisant les tensions sociales et la pauvreté, un système comme celui-là augmentera l’instabilité qui fait perdre, entre autres, l’accès généralisé aux soins et à l’éducation, entraînant, là encore, une spirale de dégâts. Découpler, donc, dans le discours comme dans l’action les problèmes sociaux et environnementaux est une erreur qui brise la dynamique bénéfique de politiques et actions écologiques ou sociales, aussi bonne soient les intentions. Penser que s’assurer sa survie dans un des coins qui, d’après les estimations, serait le moins touché par les catastrophes à venir est une logique compréhensible de protectionnisme mais sans une pensée et une action à l’échelle beaucoup plus large, tant dans l’étendue géographique que dans les domaines à aborder ou les personnes qui ont leur rôle à jouer, est vouée à l’échec déjà à moyen terme.
Une natalité “saine” existe-t-elle? Sans aller jusqu’à chiffrer le nombre moyen idéal d’enfants par femme, ce qui poserait d’autres problèmes éthiques, ou aborder le droit à la reproduction, ou encore la signification personnelle et sociale, l’instrumentalisation des enfants pour le travail, la politique, ou l’épanouissement personnel, qui sont autant de sujets épineux et délicats, est -il possible de changer son regard sur le fait de concevoir des enfants à notre époque? Écologiquement parlant, au regard des limites démographiques et des enjeux environnementaux, est-ce qu’avoir des enfants a un sens ? À mon avis, autant une croissance exponentielle est à notre époque, un modèle et une réalité dépassés, et, au vu de ce que cela signifie, guère souhaitables du point de vue de la qualité de vie, des femmes en particulier ; autant une drastique réduction voire suppression de la natalité comme sauvegarde du futur est une mauvaise approche.
En bref, si la surpopulation n’est pas le plus grand problème écologique, en revanche, travailler dans tous les domaines pour un monde plus juste, plus instruit, plus sage, plus sobre, plus vivant, plus pacifique aura le plus grand effet.
Tsilla Boisselet, septembre 2019
(Ce plaidoyer est une réponse à des inquiétudes que j’ai entendues et auxquelles je désirais répondre, et l’analyse démographique simplifiée se base sur les études présentées dans plusieurs articles du hors-série en Allemand du Monde Diplomatique, Atlas der Globalisierung, pp44-53 Teil II : Die demographische Herausforderung, 2019)
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